OneLab ep.3 - Architecture fractale

OneLab ep.3 - Architecture fractale

Ceci est une histoire vraie, qui n’est pas encore arrivée.

Bienvenue dans ce troisième épisode de la saison 2 de OneLab. Tu embarques ici dans un voyage imaginaire en audio. Les évènements se déroulent dans le futur, sur une oasis qu’on appelle OneLab qui fait 200, 2000 ou 20 ou 2 hectares selon les visions. Les épisodes se consultent de préférence dans l’ordre.

Je te souhaite une bonne écoute ! 

Et à toi de jouer ;-)

N’oublie pas que le meilleur moyen de prédire l’avenir est encore de le créer.

Les images sont cadeau, elles n’apportent rien à l’histoire. Celles-ci ont été tournées dans les Alpes cet hiver.


Décidément, Mère Nature nous a honorés d’un vrai hiver cette année. Il est tombé jusqu’à 80cm de neige, de quoi bien tester la solidité naturelle de la géométrie du zome. Le printemps avance timidement, on dirait que cette nuit est tombée la dernière chute de neige avant la belle saison.

Deux journées bien remplies s'annoncent. Ce matin, j’ouvre ma maison "prototype" pour la visite d’un groupe qui participera ensuite à un chantier collectif. Demain, c’est la journée du savoir et de la connaissance organisée chaque nouvelle lune à l’université de la colline.

Deux parents sont en train de construire une annexe pour leur garçon de 13 ans. Ils ont demandé un coup de main à quelques volontaires pour cette étape de la fabrication. Je me suis proposé et d'autres aussi. Finalement tout le monde en a parlé autour de soi. Au lieu de se retrouver à 4 ou 5 sur le chantier, on sera une quinzaine de motivés. Voilà un bel exemple d’évènement non-programmé.

Personnellement, j’ai hâte de découvrir sa nouvelle technique de collage du contreplaqué qui semble prometteuse. Le rendez-vous est donné au Hub à 9 heures. C’est parfait pour moi, j’ai le temps de passer au sauna en alternant avec quelques plongeons dans la neige.

Les premiers participants arrivent et se rencontrent autour de boissons chaudes lancées en attendant les autres. À notre grande surprise, nous ne sommes pas 15 mais 25 motivés par cette journée !

Devant la perspective d’une après-midi plutôt manuelle et d’un lendemain très cérébral, la proposition spontanée d’une matinée plutôt dédiée aux sensations et au corps est bien accueillie. Je propose donc une petite balade silencieuse à la rivière avant d’aller visiter mon chez-moi. En fait, j’ai juste très envie d’aller voir les structures de glaces qui se forment à la cascade à chaque fois que le thermomètre passe en dessous de 0°C.

Arrivés chez moi, nous nous installons en cercle dans la grande pièce. Quelques-uns préfèrent rester dehors pour profiter de l’air frais. Une amie habitante d’un autre Oasis s’est lancée dans la création d’une expérience audio immersive. Elle donne à manger des vidéos de nuages à des algorithmes qui transposent les variations de couleurs et de mouvement en une ambiance sonore qui circule dans les 3 dimensions. Bon, plutôt que de fournir des explications j’ai choisi de lancer rapidement le son. La forme ronde de ma maison se prête parfaitement à la diffusion des ondes sonores dans toutes les directions. Ce seront 22 minutes magiques de voyage dans des fréquences subtiles à condition, bien sûr, d’accepter l’invitation.

Petit à petit, nous rouvrons nos yeux plus ou moins collés. Personne n’osera rompre ce précieux silence propice à la contemplation. Les conditions sont parfaites pour offrir à chacun un temps pour s’imprégner de la géométrie intérieure du zome.

Une personne adossée à la banquette près de l’entrée prend finalement la parole. Elle propose de faire un tour de présentation puisque nous allons apparemment passer la journée ensemble. Chacun à tour de rôle offre aux autres un petit aperçu de sa vie et des motivations qui l’ont amené à venir aujourd’hui.

L’histoire la plus touchante sera celle de ces deux petites mamies qui ont vendu leur maison pour vivre toutes les deux en colocation. Elles entament toutes les deux leur 8ème décennie et ont la ferme intention de vivre bien entourées pour les 40 prochaines années.

Trop mignonnes et parfaitement lucides, elles ont décrit comment leur ancienne maison était devenue tranquillement une petite prison. Elles refusent de s’éteindre à petit feu comme leurs copines qui sous la pression finissent échouées dans une Ehpad aux allures d’hôpital.

Elle murissent toutes les deux un projet ambitieux : construire une petite maison chacune connectée à un grand espace commun, une sorte de mini-hub privé si on veut. Mais ce n’est pas tout, elles veulent également construire deux habitats supplémentaires qui seront disponibles pour des familles avec des jeunes enfants de préférence. L’idée de faire coexister toutes les générations est vieille comme le monde, ça fait plaisir de voir que le bon sens ne s’est pas volatilisé.

Après un petit chant improvisé, le groupe se met en mouvement pour une courte visite de l’extérieur de ma maison. Ça pince sec, nous décidons d’aller nous mettre au chaud, partager un repas en mode auberge espagnole au Hub.

En arrivant, nous découvrons plein d’enfants qui expérimentent ensemble la cuisine. Ce joyeux bazar nous invite à choisir un autre Hub qui se trouve sur le chemin de l’atelier. Celui ci à une histoire bien particulière. Un jour, un homme est revenu tout fier de lui avec une cabine sanitaire de chantier en PVC gris immaculé. Il a rapidement compris qu’il était le seul convaincu par l’adoption d’une telle verrue. Elle est fonctionnelle certes mais parfaitement laide et briseuse d’harmonie.

À OneLab, il existe quelques règles tacites qui se sont inscrites naturellement dans l’éther à défaut d’être votées dans la matière. Ce ne sont pas des règles, ni des lois, mais une sorte de discipline collective qui peut se formuler ainsi :

« Tout est une œuvre d’art »

Et la deuxième est :

« Il n’existe pas de déchet »

Une des solutions aurait été de blâmer la belle âme qui à ramené sur place cette cabane de chantier. La seconde solution consistait à virer cette horreur de notre vue, mais pour l’envoyer où ? Peu importe la destination de cet objet , ça aurait été quelque part sur la Terre.

Au lieu d’activer ces mauvais scénarios la magie de OneLab a opéré. Ce bloc de plastique pas cher est devenu le catalyseur, le point de départ d’une tornade de créativité. À tel point que des gens font parfois plus de 1000km juste pour voir cette fameuse cabane de chantier, qui a d’ailleurs quintuplé de volume depuis. Au lieu de te la décrire je vais laisser ton imaginaire la découvrir pendant 20 secondes.

L’idée de faire du beau à partir du moche a inspiré beaucoup de monde. Aujourd’hui cet homme est remercié pour avoir suivi son cœur et emmené cette boite en PVC au sein de l’oasis. Cette zone autour de la cabane de chantier est devenue une sorte d’œuvre d’art géante un peu folle, les gens l’appellent "Burning Woman" comme une sorte de version féminine et permanente du "Burning Man".

Juste à côté on trouve aujourd’hui un grand pylône. Même scénario, au départ personne n’a aimé ni même compris, et aujourd’hui c’est "the place to be" avec son poste d’observation en filets tendus au-dessus de la canopée. Le pylône ressemble désormais presque à un arbre composé de milliers d’espèces végétales différentes. On ne distingue plus du tout la structure. La radio pirate en a profité également pour y installer une antenne et augmenter ainsi la distance de diffusion.

Passé le traditionnel quart d’heure d’étonnement et de questions/réponses pour ceux qui découvrent ce lieu pour la première fois, nous finissons par entrer dans la grande salle attenante à la cabane de chantier. Elle ressemble à une serre tropicale mixée à un musée de poterie. Les yeux brillent et les enfants intérieurs sont au taquet. La notion de repas devient rapidement secondaire dans tout ça.

Ceux qui avaient posé leur maison dans ce coin et utilisaient le Hub au quotidien ont fini par se déplacer ailleurs. C’est devenu en quelques mois une zone d’accueil des visiteurs d’ici et d’ailleurs. Il y a une grande auberge qui s’autogère malgré le turnover et les nombreuses langues qui y sont parlées.

Il est de coutume à OneLab de dire bonjour dans sa langue natale ou préférée. Par exemple je rencontre un inconnu et lui dit « bonjour », il me répond « Priviet, Hello, bonjoulr ». À partir de ces indices je peux supposer qu’il est russe, anglophone et qu’il comprend un peu le français. Je lui réponds donc « hello » si je souhaite engager la conversation en anglais avec lui.

Le repas est terminé, le groupe se déplace vers le chantier. Il semble que nous en ayons perdu quelque-uns au passage qui favorisent probablement l’instant présent. C’est parfait, quoi qu’il arrive le chemin est facile à trouver, les ateliers partagés sont au centre de la colline. À ma grande surprise, quelle que soit la saison ce grand hangar est un bouillonnement d’activité. Il faut avouer que la perspective de se construire soi-même une maison en 2 mois pour 10000-20000€ a inspiré plein d’amoureux de la liberté.

Le chantier d’aujourd’hui consiste à préparer les panneaux en forme de losange pour un habitat inspiré de la maison organique. La technique s’améliore à chaque essai, on est déjà à la version 3. Je souris en me rappelant les questionnements au moment de créer ma première maison organique. « Est ce que je dois en faire une entreprise ? Peut-être breveter la technique ? » Quelle horreur ! Je me vois déjà perdre toute mon énergie dans des dossiers tous plus relous les uns que les autres : juridique, assurance, comptable, levée de fonds, salariés, URSAFF et j'en passe.

[Musique des inconnus]

Nous sommes URSAFF, CANCRAS et CARBALAS
Qui que tu sois, quoi que tu fasses
Faut qu'tu craches, faut qu'tu payes
Pas possible que t'en réchappes
Nous sommes les frères qui rappent tout
Je t'offre un pot ?
Et oui impôts
Impôts fiscaux, impôts locaux
Impôts directs et impôt indirects
Impôts fonciers, impôts rentiers
Impôts sur les grandes fortunes, impôts même si t'as pas de tunes
Impôts sécheresse, impôts richesse, impôts nouveaux, impôts rétros
Impôts recto, impôts verso, impôts sur le revenu, impôts sur les revenants

Si quelqu’un un jour est motivé pour industrialiser le concept, pourquoi pas ? De toutes façons c’est open source, mais ce ne sera pas pour moi… Ce qui se passe ici est beaucoup plus puissant et tellement plus intéressant. La créativité collective s’exprime puissance 10 à travers cette sorte de compagnonnage vivant. Personne ne dirige quoi que ce soit et pourtant les choses s’organisent d’elles-mêmes, achats groupés, chantiers parallèles, entraide, enseignement et apprentissage de la technique. Tout est fluide

Les panneaux utilisent la méthode du sandwich remise au gout du jour par un ami, ancien ingénieur/entrepreneur reconverti à la vie heureuse lui aussi. L’isolant est porteur et collé entre deux feuilles de contreplaqué pour une solidité à toute épreuve. Nos amis du chantier qui en sont à leur deuxième maison ont innové cette fois-ci en faisant découper le contreplaqué au jet d’eau pour fluidifier le processus de fabrication.

4 heures plus tard, la nuit est tombée, chacun s’organise pour la soirée. Ceux qui n’ont pas de plan trouveront toujours un espace disponible à l’auberge. Je conseille à deux amis de tester le grand dortoir à l’étage. C’est une pièce immense constituée d’un enchevêtrement de matelas géant. Il n’y a aucun sens précis pour dormir.

Le lendemain à l’université, c’est la nouvelle lune toute la journée. Il y a toute une série d’intervenants autoproclamés qui viendront présenter une technique, partager une invention concrète ou une découverte qui peut améliorer le quotidien. D’après le programme aujourd’hui ça concerne plutôt l’habitat.

Comme à chaque fois, les interventions de la journée seront diffusées en direct sur la radio et la TV pirate, si bien que beaucoup y assistent de chez eux bien au chaud dans le canapé.

La première conférence concerne un modèle de batterie calorique Do It Yourself. Le principe de cette batterie est de maintenir constamment en température un mètre cube d’eau par plusieurs moyens à disposition. Selon la géographie ce sera du solaire, du bois, des granules, du gaz ou de la géothermie et même pourquoi pas de l’électrique. Un circuit secondaire de serpentins vient quant à lui puiser la chaleur stockée dans ce mètre cube pour chauffer l’eau sanitaire ou de l'eau pour les radiateurs. Le principe est connu mais le type aujourd’hui présente un mode d’emploi précis, étape par étape, pour la fabriquer avec des pièces disponibles en magasin de bricolage.

C’est mon tour, je fais une présentation de la maison organique et de ses avancées récentes. Ce n’est pas ma première conférence mais celle-ci sera enregistrée et rediffusée en libre accès sur la chaine de l’université.

Juste a près moi c’est un couple qui explique comment utiliser une technique plutôt contre-intuitive pour faire circuler naturellement l’air dans une maison. La méthode permet surtout de rafraichir l’air en plein été. Je les aime bien, ils ont décidé d’expliquer leurs trouvailles avec des mimes et de l’humour. C’est fou à quel point la forme peut rendre le fond passionnant, tout le monde sort d’ici avec le sourire et quelques compréhensions sur la mécanique des fluides. Je les rejoins à la fin de leur présentation, ça m’intéresse puisque j’ai moi-même essayé une technique similaire chez moi, sans succès…

Le fait de libérer la connaissance en Open Source lui permet de prendre vie. Une information n’est pas comme un objet. Si je donne une pomme à quelqu’un, je ne pourrai pas la manger. Si je donne de la connaissance à quelqu’un, d’un coup nous sommes deux à en bénéficier. C’est une transaction ou personne n’est lésé.

Depuis que la maison organique est libre de sa vie, des gens ont pu se l’approprier à leur façon en mettant l’accent sur un aspect qui les fait vibrer. Certains ont bossé sur les matériaux, pour qu’ils ne soient jamais un déchet, d’autres sur les ondes de forme par exemple. On a vu des techniques d’extension ou d’aménagement sortir de nulle part et la maison à même voyagé autour du monde pour s’adapter à d’autres climats. J’appelle ça une unité R&D (Recherche et Développement) sacrément efficace ! Et tout le monde en profite…

L’après-midi, les thèmes ont changé, plusieurs présentations d’Oasis se sont succédées. C’est assez fou de constater à quel point de nombreux lieux se sont ouverts en très peu de temps. Chacun son style, sa singularité, ses lumières et ses paradoxes. Il n’y a pas d’idéologie commune, ni de projet politique, on dirait simplement que les étoiles se sont alignées pour permettre la floraison de toutes ces micro-cités.

Les différentes manières de les présenter aujourd’hui sont assez éloquentes pour se rendre compte du changement de paradigme en cours. Il y a des mots qu’on n’entend pas tels que « lutte », « révolution », « résistance », « écovillage » ou « modèle économique » et il y en a d’autres qui s’affirment comme le mot « Amour », celui qui transcende toutes les croyances et les cultures et s’écrit avec un grand « A » bien sûr. En tout cas, je n’observe aucune compétition entre ces différentes bulles du nouveau monde. Au contraire ! La compréhension de l’intérêt commun à fonctionner comme un réseau est très profonde.

L’Oasis d’à côté par exemple est plutôt orienté agriculture/permaculture. Ils viennent vendre ou échanger leurs productions toutes les semaines au marché ouvert de la colline. Les ateliers OneLab sont disponibles quant à eux pour fabriquer des maisons qui seront montées par chez eux.

J’aime observer les phénomènes qui émergent naturellement. J’y vois une architecture fractale. Du noyau familial, au petit groupe de voisin, à l’oasis jusqu’à la constellation de villages, je repère ce même schéma : cette organisation spontanée peut paraitre complexe ou sauvage, mais certainement pas compliquée.

Pour qui observe plusieurs années d'affilée les arbres, les plantes, les animaux c’est une évidence. Il vaut mieux mille fois accompagner le mouvement que de chercher à le contrôler. Il existe des mécaniques encodées dans la matière subtile qui dépassent la capacité de calcul d’un seul individu ou d’un groupe.

En mode fractal, les écosystèmes se régulent par eux-mêmes. Certains nœuds prospèrent lorsque d’autres fanent, une cohérence se forme puis se transforme. La vie est mouvement, le changement est la seule chose permanente.

Je suis heureux d’être enfin entouré de plein de surfeurs de la vie. De grands enfants émerveillés qui maitrisent l’intuitive science des vagues. Ils ont sorti la tête de l’eau et contemplent la beauté en attendant de glisser emportés par la puissance des rouleaux. Ils n’oublient pas que certains sont encore sous l’eau à se bouffer des tours et des tours de machine à laver. Le meilleur moyen de les aider n’est pas de replonger dans les turbulences infernales mais de leur offrir une planche pour qu’ils apprennent eux aussi à surfer la puissance de la Vie.

Et voilà pour aujourd'hui, la suite au prochain épisode.
Très belle journée

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